Note de lecture : Cynthia Fleury, Le soin est un humanisme.

MJ LAB partage sa note de lecture de l’œuvre d'Cynthia Fleury intitulée Le soin est humanisme, Gallimard, 2019, Collection Tracts, 48 pages.

Il y a peu, Régis Debray rappelait à la radio que des petits livres peuvent avoir de grands effets. D’où l’intérêt, selon lui, de la collection Tracts chez Gallimard. Nous mesurons mal quant à nous l’impact réel de cette collection sur la société. En revanche, nous pouvons témoigner de tout l’intérêt que nous y trouvons en tant que lecteur de découvrir ces multiples argumentations, qu’on soit ou non en accord avec elles.

Un essai nous a particulièrement plu. Il s’agit du texte écrit par la philosophe et psychanalyste Cynthia Fleury intitulé Le soin est humanisme. Résumons à grands traits le propos.

Le titre fait évidemment écho à L’Existentialisme est un humanisme de J.-P. Sartre. Car s’il n’y est pas fait mention du soin, la question de l’attention portée à autrui est très présente. Au travers de quelques lignes serrées, C. Fleury montre que pour l’auteur de L’Être et le Néant, « il n’y a pas de responsabilité propre qui ne soit intrinsèquement une responsabilité pour tous. » Pour cette raison, « être agent, exister, c’est faire le lien avec l’autre, c’est porter l’existence de tous comme un enjeu propre. » (p. 6) Il convient donc, nous dit C. Fleury, de défendre l’ « exceptionnalité de l’homme », c’est-à-dire, pour le formuler avec nos termes, de permettre à chacun d’accueillir ce qui lui échappe et d’en faire quelque chose. Avancer cela, c’est souligner la nécessité de rendre « capacitaires » les individus (l’activité normative pourrait-on dire avec Canguilhem, i.e la capacité de transformer les normes, d’en instituer de nouvelles), ce qui n’est possible que si leur vulnérabilité est prise en compte et appréhendée comme invitation à « inventer un ethos ». Le risque chez chacun est grand, en effet, de n’en vouloir rien savoir, d’autant plus quand une idéologie actuelle tend à promouvoir ce refus au travers de diverses pressions (pression du quantitatif, de l’augmentation de soi, etc.) jusqu’à pouvoir agiter la menace de devenir jetable. Ce désengagement du sujet mène à ce que l’école de Francfort, A. Honneth notamment, appelle la réification. Le soin n’est pas exempt de ce danger. C’est bien ce qu’il s’agit de contrarier au quotidien. Un petit rappel peut y contribuer : « il convient de se remémorer cette vérité première qu’il n’y a pas de maladie mais seulement des sujets qui tombent malades et que la reconnaissance de cette subjectivité est la seule opérationnelle pour la production d’un soin. » (p. 30)

C’est en prenant appui sur l’insistance du psychanalyste anglais D. Winnicott d’avoir à porter notre regard sur la relation du sujet à son environnement pour appréhender la question de la santé mentale que C. Fleury poursuit son argumentation en faveur du « prendre soin ». L’accent mis sur cette relation est fondamental pour saisir combien il est indispensable de « prendre soin du soin », c’est-à-dire de l’institution, comme le répétaient ces deux auteurs indispensables à nos yeux qu’étaient J. Oury et F. Tosquelles, parce qu’ « un milieu peut rendre malade celui qui s’y trouve » (p. 27). C’est à ce titre que l’institution peut être capable de l’élaboration imaginative que l’auteure relie à l’imaginatio vera, soit ce qui contribue à construire le réel (notre relation au réel doit donc être celle de l’invention). « Le soin, écrit-elle, est une fonction en partage, relevant de l’alliance dialectique, créative, des soignants et des soignés, qui, ensemble, font éclore une dynamique singulière, notamment tissée grâce à la spécificité des sujets qu’ils sont. » (p. 20) Ce sont ces réflexions qui l’ont menée à créer une chaire de philosophie à l’hôpital. Ce qui achève cet essai résume d’ailleurs ce qui semble l’animer dans cette création : « Créons ensemble ce lieu où s’échafaude une manière d’habiter le monde et où la raison ne plie pas devant l’arraisonnement ambiant et les pronostics d’effondrement. » Que dire, sinon qu’un désir proche nous oriente également au sein de notre laboratoire ?

Avant de terminer cette note et d’encourager à lire ce tract, mentionnons le beau texte intitulé « Les femmes désenfantées » ajouté à la fin de cet ouvrage qui illustre magistralement ce que C. Fleury appelle la vérité « capacitante », celle « qui permet la sublimation, la résilience et le rétablissement, non la vérité qui parfois ne produit rien d’autre que l’assignation à résidence douloureuse. » (p. 10) Il renvoie à cet autre travail auquel s’est consacrée l’auteure, celui sur le ressentiment (Ci-gît l’amer. Guérir du ressentiment, Gallimard, 2020), que nous conseillons également vivement.